Stratégies de tarification : encaissement des hausses ou protection contre les baisses?
Les avantages des stratégies de tarification des entreprises comme forces motrices de leur rentabilité et d’outils d’atténuation des risques figurent parmi les principaux thèmes qui sont ressortis du voyage en Europe de l’équipe responsable des actions de grandes capitalisations de l’EAEO.
Bien qu’elle soit souvent dictée par la dynamique des marchés, la stratégie de tarification d’une entreprise est aussi influencée par les avantages concurrentiels de cette dernière et par les décisions discrétionnaires de ses dirigeants. La tarification des produits ou services d’une entreprise a non seulement des incidences sur sa capacité à se prévaloir d’une partie de la valeur qu’elle crée, mais également sur la façon dont elle gère les risques en limitant ses vulnérabilités. Cette alternance — entre saisir la valeur et atténuer les risques — est la raison pour laquelle nous croyons dans l’importance d’examiner la tarification de plus près. D’une perspective ascendante, la stratégie de tarification d’une entreprise peut donner un aperçu des rouages de son modèle d’affaires, de son degré de sensibilité à l’inflation et des raisons pour lesquelles certaines stratégies sont plus fructueuses que d’autres dans des environnements opérationnels et économiques variés.
Stratégies de tarification courantes
Bien que la liste figurant ci-dessous ne soit pas exhaustive, elle met en lumière certaines des stratégies de tarification les plus fréquentes que nous avons observées en analysant divers modèles d’affaires. L’attrait d’une stratégie donnée dépend, en fin de compte, de la situation particulière d’une entreprise, ce que nous allons examiner de plus près à l’aide de quelques exemples de l’univers des titres de grandes capitalisations de l’EAEO, dont la qualité des stratégies de tarification varie entre « bonne », « passable » et « incertaine », qualificatif des plus intrigants.
La tarification axée sur les produits de base est répandue dans l’absence de caractéristiques de différenciation pour les produits; les prix sont donc largement déterminés par le marché (offre et demande). Bien que le défaut, pour les dirigeants, d’utiliser leurs pouvoirs discrétionnaires pour fixer les prix soit souvent considéré comme un facteur défavorable, il pourrait être profitable aux producteurs à faibles coûts qui détiennent d’importants avantages par rapport à ceux qui engagent des coûts élevés.
La tarification à prix coûtant majoré consiste, comme son nom l’indique, à majorer le coût d’un produit ou d’un service avec l’acceptation du client. Les prix fixés en tant que multiples des coûts peuvent limiter la hausse des profits pour les producteurs, mais ils s’accompagnent souvent de risques de pertes réduits et d’une volatilité inférieure, ce qui est intéressant quand une entreprise affiche des marges bénéficiaires étroites et une faible intensité du capital.
La tarification en fonction de la valeur désigne l’établissement de prix en fonction du rapport qualité-prix du produit ou service pour les clients. Cette stratégie est avantageuse quand le rapport qualité-prix offert est considérable et, idéalement, croissant, puisque l’accroissement de l’utilité d’un produit va généralement de pair avec la volonté des clients de verser un prix plus élevé pour l’obtenir.
Comme son nom l’indique, la tarification fondée sur la réglementation signifie que les prix sont déterminés par la réglementation. Par exemple, les sociétés de services d’électricité, qui offrent un service essentiel et exercent souvent leurs activités dans un contexte monopoliste ou oligopole, doivent généralement adhérer à un régime de tarification réglementé. Cette stratégie était intéressante lorsque l’inflation était faible, mais elle peut devenir moins flexible quand l’inflation grimpe. Un cadre de tarification réglementaire peut également réfréner l’innovation, puisque les entreprises ont souvent l’interdiction d’augmenter leurs prix et, par conséquent, elles ne sont pas en mesure de se prévaloir des avantages générés par leurs innovations.
Bien que les sociétés détenues dans notre portefeuille d’actions de grandes capitalisations de l’EAEO (et au sein de notre plateforme en général) recoupent tout le spectre des modèles de tarification, celui qui repose sur la valeur y est très fortement représenté, compte tenu du fait que nous avons tendance à favoriser les entreprises « qui fabriquent leurs produits à peu de frais, mais qui offrent un rapport qualité-prix élevé » (ce qui répond à la définition de tarification fondée sur la valeur). Cela dit, nous croyons aussi que certaines sociétés qui adhèrent au mode de tarification à prix coûtant majoré recèlent une qualité sous-estimée et pourraient offrir des évaluations avantageuses.
Bonne stratégie : Compass Group, BAE, InterContinental Hotels Group
Dans l’arène de la tarification à prix coûtant majoré, Compass Group, société de services traiteur du R.‑U., et BAE, entreprise de défense britannique, ont certains attributs économiques en communs, qui, à notre avis, expliquent la majorité de leur attrait en matière de placements. Si vous tentiez de dépister des entreprises de premier ordre en fonction de leur bénéfice d’exploitation avant intérêts et impôts (BAII), ni l’une ni l’autre d’entre elles ne ressortirait du lot, car celui de Compass est d’environ 6 ou 7 % et celui BAE s’établit aux alentours de 9 à 11 %. Cela dit, en raison des exigences minimales en matière d’immobilisations corporelles, leur rendement de l’actif d’exploitation net dépasse régulièrement la barre des 40 % et a le potentiel d’augmenter à l’infini.
En matière de contrats de défense, ce sont souvent les clients gouvernementaux de BAE qui fournissent les capitaux 1. Pour sa part, lorsque Compass offre ses services, elle occupe les locaux de son client, doit investir très peu dans l’équipement et bénéficie de modalités de paiement avantageuses auprès de ses fournisseurs en raison de sa position enviable à titre de principal acheteur de produits alimentaires aux États-Unis. Ensemble, de faibles marges et des rendements élevés permettent à la croissance organique de créer beaucoup de valeur, et ces deux entreprises tirent parti de facteurs nettement propices à leur croissance.
L’un des principaux risques pour les entreprises à faibles marges réside dans la volatilité des bénéfices, qui pourrait les obliger à conserver des liquidités nettes pour surmonter les périodes de faiblesse. Une stratégie de tarification à prix coûtant majoré est avantageuse dans un tel cas, compte tenu du fait qu’elle limite même les baisses temporaires et permet à la structure de capitaux des entreprises de détenir certaines dettes.
InterContinental Hotels Group (IHG), franchiseur britannique d’établissements hôteliers, offre un autre exemple de stratégie de tarification avantageuse. Exploitant des marques connues telles que Holiday Inn, Crowne Plaza et, son éponyme, InterContinental, cette société fait appel à un modèle de tarification fondé sur des redevances, ce qui renforce sa résilience et, grâce à la réglementation, restreint la concurrence fondée sur les prix. Plus de 90 % de ses bénéfices proviennent des paiements de redevances contractuels que les propriétaires d’hôtels lui versent en contrepartie du droit de participer aux programmes de franchise. Cette structure peu capitalistique permet à l’entreprise de prendre de l’expansion, et ce, tout en retournant des capitaux à ses actionnaires et en générant des marges élevées, ses marges opérationnelles dépassant 50 %. Ces marges élevées l’aident à se protéger contre les périodes de demande réduite, comme ce fut le cas pendant la pandémie de la COVID-19. En vertu des lois américaines applicables aux franchises, IHG doit publier les taux de redevances qu’elle impose aux franchisés et ne peut pas en dévier. Les nouveaux franchisés s’intéressent à l’entreprise en raison de la qualité de ses marques et du fait que les taux de redevances payables n’entrent jamais en ligne de compte dans les négociations. En périodes d’inflation, des taux de redevances fixes sont également avantageux pour les franchisés, car les tarifs hôteliers croissants leur sont transmis.
Stratégie passable : Sonova, Vestas
Sonova, entreprise suisse d’appareils auditifs, fixe ses prix en fonction de la valeur. En 2022, ses dirigeants ont déterminé que l’entreprise devrait donner le ton en matière de prix compte tenu de sa part de marché dominante au sein de divers marchés. Par le passé, les investissements importants de Sonova dans la recherche et le développement lui permettaient de jouir d’avantages sur ses concurrents au chapitre de la qualité des produits, surtout relativement à la connectivité Bluetooth et à la capacité de recharge. Le problème pour Sonova, c’est qu’en 2022, ses concurrents avaient rattrapé le temps perdu au chapitre de la conception de certaines de ces caractéristiques, sa nouvelle plateforme était plus évolutive que révolutionnaire et certains de ses produits présentaient des problèmes de qualité. Compte tenu de ces défis, elle a fait erreur en augmentant ses prix avant ses concurrents, car la valeur pour les clients était tout simplement inexistante. Depuis, Sonova a largement remédié à la situation; ses concurrents l’ont rattrapée au chapitre des prix, et il semble que certaines des innovations qu’elle est sur le point de lancer distingueront une fois de plus ses produits, ce qui lui permettra de faire de nouveau valoir son pouvoir sur les prix.
Un autre exemple de stratégie passable réside dans les modèles d’affaires de certains projets d’énergie éolienne renouvelable, qui ont subi les contrecoups de l’inflation, et ce, tant pour leurs exploitants que pour leurs fournisseurs. Vestas, producteur danois de turbines éoliennes, est une société que nous examinons, mais que nous ne détenons pas actuellement. Selon elle, la déflation qui régnait depuis plus de trente ans l’avait mal préparée à affronter une inflation tant élevée que volatile. Cette entreprise avait permis à ses clients de bloquer leurs prix un ou deux ans avant la livraison de leurs commandes, ce qui est devenu très problématique quand les coûts des intrants ont fait un bond. C’est un cas où des marges opérationnelles antérieures de 5 à 10 % et des immobilisations corporelles minimales sont défavorables, compte tenu des marges négatives enregistrées en 2022 et 2023. Du côté des exploitants, les prix de l’électricité sont souvent bloqués auprès des clients avant le début des projets de construction. Les dépassements budgétaires attribuables à l’inflation ont eu pour effet d’amoindrir grandement les rendements prévus, étant donné que les prix étaient déjà fixés et qu’ils ne pouvaient pas être rajustés à la hausse. Cela donne un coup doublement dur quand le coût moyen pondéré du capital augmente sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt.
Stratégies incertaines : Iberdrola, Coloplast
Nous avons choisi de détenir une exposition à l’énergie renouvelable en investissant dans Iberdrola, société espagnole de services publics, qui est relativement à l’abri des dynamiques nuisibles en matière de coûts et de prix. Iberdrola investit principalement dans ses propres services réglementés en contrepartie de taux de rendement prescrits par la réglementation. Ces taux de rendement veillent à ce que les prix s’adaptent souplement aux nouvelles situations de coûts, ce qui permet à l’entreprise de présenter un risque relativement faible. De plus, les dirigeants et la culture de l’entreprise semblent afficher un conservatisme marqué sous la tutelle du président actuel du conseil (en poste depuis 20 ans), qui a aidé l’entreprise à éviter bon nombre des pièges que ses homologues ont dû affronter.
Malgré les résultats positifs d’Iberdrola jusqu’à présent, sa structure de tarification réglementée représente, pour nous, un point d’interrogation à l’égard de l’entreprise. Ces inquiétudes découlent partiellement de notre expérience avec une autre société, Coloplast, que nous suivons, mais que nous ne détenons pas actuellement. Coloplast, fabricant danois d’appareils destinés au traitement de maladies chroniques, a créé une valeur substantielle en exerçant ses activités au sein d’un régime de tarification réglementé. Or, son contexte d’exploitation a changé depuis et la robustesse du régime de tarification réglementé a été remise en question.
Les prix de Coloplast sont majoritairement fixés par les autorités gouvernementales en matière de soins de santé. L’entreprise a acquis de 30 à 50 % du marché des cathéters urinaires et des sacs de stomie, étant donné qu’elle offre les meilleurs produits et qu’elle dispose de dirigeants chevronnés. Généralement, elle lance ses nouveaux produits au sein de structures de remboursement existantes. Donc, bien que l’entreprise n’ait pu profiter de primes sur les prix, elle a été en mesure d’accroître sa part de marché. Cela était satisfaisant quand l’inflation était faible et stable. Maintenant, l’entreprise lance des produits qui se distinguent sur le plan clinique, avec données à l’appui de leur supériorité. Citons entre autres des sacs de stomie dotés de capteurs pour détecter les fuites et, ainsi, prévenir les irritations de la peau et éviter la gêne pour les patients, et des cathéters comportant 800 trous plutôt que deux, ce qui veille à l’écoulement complet de la vessie et qui peut prévenir les infections. Les dirigeants ont exprimé leurs doutes quant à la volonté des organismes de réglementation de verser une prime pour ces produits. S’ils refusent, Coloplast a affirmé que ces innovations allaient être discontinuées.
Nous surveillons les résultats de l’entreprise à ce chapitre, vu qu’en vertu d’une hypothèse favorable, des prix plus élevés entraîneront un accroissement plus rapide de sa part de marché. En revanche, son incapacité à exiger des prix supérieurs serait inquiétante, étant donné que la hausse de l’inflation est problématique pour ses marges bénéficiaires. De plus, la tarification réglementaire peut donner lieu à des « risques rapides », vu que les organismes de réglementation ont la discrétion de rajuster soudainement les prix et que les problèmes budgétaires croissants des gouvernements ont pour effet d’intensifier actuellement ce risque.
Nous continuerons d’analyser Coloplast et d’observer l’évolution de sa tarification réglementaire, et croyons que les leçons importantes que nous en tirerons pourraient aussi être applicables à Iberdrola.
Conclusion
La stratégie de tarification d’une entreprise peut en révéler beaucoup sur sa stratégie d’affaires, la gestion de ses risques, la différenciation de ses produits et son élan concurrentiel. Il importe aussi de retenir que le contexte macroéconomique d’une entreprise peut changer, réalité dont il faut tenir compte au moment d’évaluer ses résultats financiers antérieurs. Autrement, les stratégies qui ont porté fruit dans un contexte donné pourraient être mises à l’épreuve dans l’avenir.
Prenons l’inflation : elle constitue un risque pour certaines organisations et représente une occasion pour d’autres. C’est pourquoi les investisseurs doivent tenir compte de la façon dont les dirigeants restent au courant de la conjoncture économique en général et rajustent leur stratégie quand les faits changent. En fin de compte, des dirigeants compétents peuvent ajouter de la valeur pour une entreprise et, de ce fait, pour le rendement des actions en choisissant une stratégie de tarification judicieuse.
[1] Remarque : Il s’agit là d’une légère simplification de la composition des contrats de Compass Group et de BAE, mais les contrats qui ne reposant pas sur une tarification à prix coûtant majoré contiennent tout de même des mécanismes intégrés d’atténuation des risques. Pour Compass Group, les sources de revenus par type de contrat sont réparties entre les ententes à prix coûtant majoré, dans une proportion de 40 à 60 %, et entre des ententes à prix fixe ou fondées sur les résultats pour le reste. En vertu des ententes à prix fixe, les clients prennent des engagements de volume minimaux, alors que celles fondées sur les résultats permettent à l’entreprise de contrôler les prix. En ce qui concerne BAE, les sources de revenu par type de contrat sont réparties entre des ententes fondées sur une tarification à prix coûtant majoré et des ententes à prix fixe dans des proportions respectives d’environ 45 % et 55 %. Les contrats à prix fixe sont généralement révisés tous les ans ou tous les deux ans avec couverture des produits de base, alors que les contrats à plus long terme prévoient souvent des indexations pour les intrants et les coûts de la main-d’œuvre.
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